FLUXUS

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En 1961, l’architecte et designer Algis Maciunas présenta, dans la galerie AG qu’il animait à Madison Avenue (New York), une série de concerts de musiciens, de poètes et d’artistes plasticiens se situant dans la mouvance de John Cage: Richard Maxfield, Jackson MacLow, Henry Flynt, Dick Higgins et Ray Johnson. À cette même époque, La Monte Young entreprenait de regrouper des témoignages et des partitions susceptibles d’être publiés dans une revue à venir et concernant principalement les «anciens élèves» de John Cage à la New School for Social Research, depuis Al Hansen, Kaprow et George Brecht jusqu’à Ben Patterson et Nam June Paik. Le projet de revue n’ayant pu aboutir, La Monte Young se mit en devoir de faire paraître, avec le concours de Maciunas, le recueil des textes déjà rassemblés, augmenté de quelques envois d’artistes européens partageant le même point de vue «expérimental» sur la création: ainsi naquit An Anthology . Maciunas songea alors à reprendre l’idée d’une revue qui paraîtrait irrégulièrement et se nommerait Fluxus . Des raisons financières l’obligèrent sur ces entrefaites à abandonner sa galerie et à quitter New York. Il choisit de s’installer en Allemagne, à Wiesbaden, où il invita ses amis new-yorkais à la première «Festa Fluxorum»: ce serait un collectif ouvert à tous ceux qui désireraient prendre leurs distances à l’égard des International Stylists en musique (Boulez, Stockhausen, von Biel, etc.) comme de la Going Thing en poésie ou de l’expressionnisme abstrait en peinture. Mais nul mot d’ordre ne serait lancé.

Les malentendus, selon George Brecht (1964), surgirent du fait que l’on prenait Fluxus pour un groupe doté d’un statut et d’un programme. Or on ne s’y soucia jamais de doctrine, ni de méthode; simplement, des individus avaient choisi de se réunir parce qu’ils pensaient que «les limites de l’art sont plus lâches que la convention ne l’admet» et que «certaines frontières établies depuis longtemps ne servent plus à rien». À quoi on peut ajouter cette définition «positive» de Fluxus, due à Maciunas: Fluxus s’efforce de rejoindre «les qualités monostructurales et non théâtrales de l’événement naturel simple, jeu ou gag. Il fond ensemble Spike Jones, le vaudeville, le gag, les jeux d’enfants et Duchamp». L’éventail, on le voit, est assez large.

Les festivals Fluxus eurent donc lieu en 1962, d’abord à Wiesbaden, puis à Copenhague (novembre) et à Paris (décembre); un quatrième se déroula à Düsseldorf en février 1963. Selon la direction décelée plutôt qu’imposée par Maciunas, les events , d’abord relativement «théâtraux», aboutissaient, en se simplifiant, à des actions «privées», mettant de plus en plus en jeu l’espace et le temps concrets, réels, de chacun. On en donnera ici quelques exemples, empruntés à George Brecht. La pièce intitulée Organ Piece comporte pour seule instruction le mot organ , lequel renvoie à l’instrument grâce auquel n’importe quelle musique d’orgue peut se jouer: l’interprète a le choix. La partition de Flute Solo donne à lire ces deux seuls termes: disassembling/assembling ; le soliste se borne donc à démonter son instrument et à le remonter ensuite. Même «raccourci» dans la partition de String Quartet , qui n’indique que ce simple geste, familier même aux non-musiciens: shaking hands . Quant à Three Telephone Events (1961), l’argument comporte une «note pour l’interprétation»: «Chaque event comprend tous les événements qui surviennent effectivement au cours de son déroulement.» La poétique de George Brecht, on le voit, se modèle sur l’«indétermination quant à l’exécution» telle que l’avait définie John Cage dès 1958. Mais la leçon même de Cage, suivie à la lettre, ne requiert aucune obligation doctrinale: les membres de Fluxus ont conservé, au fil des ans, leur entière liberté. Et celle-ci leur a permis de colorer différemment le répertoire de leurs events . Si les pièces «indéterminées» de Cage ont servi de détonateurs, elles se contentaient, au dire de Dick Higgins, de faire se rencontrer les arts majeurs, musique, danse, poésie, peinture... À une telle confrontation multimédia, qui respecte, certes, l’indépendance des principales disciplines, mais s’en tient là, Dick Higgins considère que Fluxus substitue une poétique intermédia, suscitant des productions «interstitielles» d’un genre nouveau, entre différents médias, entre poésie et performance tout comme entre musique et spectacle. Selon Higgins, l’idéal de la fusion des horizons (l’Horizontverschmelzung du philosophe allemand Hans Georg Gadamer) a permis aux artistes de Fluxus de se libérer de la mouvance de John Cage, et donc d’œuvrer , au sens strict, tout en s’affranchissant des lois du marché et du vedettariat. Loin de se cantonner dans une attitude contestataire, Fluxus aurait contribué à réveiller le sens de la communauté en détournant l’humour cagien vers une parodie systématique du non-art.

Après les années «proto-fluxiennes» (1961-1964), les critiques ont diagnostiqué une évolution d’ensemble ramenant Fluxus vers l’élaboration d’œuvres-objets, publications ou multiples en tous genres (1964-1970) — ce qui n’empêchait nullement la provocation en direct de se manifester (citons les Fluxfilms de Shiomi Mieko, la Young Penis Symphony de Nam June Paik ou la Vagina Painting de Shigeko Kubota). De 1970 à 1978, on revient à l’âge d’or des performances avec Larry Miller ou Geoffrey Hendricks. Mais l’histoire de Fluxus est malaisée à cerner: nombre d’artistes ont seulement transité par Fluxus (Beuys, Vostell...); d’autres font figure d’anciens combattants (Ben Vautier). Aujourd’hui, les rétrospectives se multiplient (Wiesbaden, 1992; le Walker Art Center de Minneapolis, 1993); des numéros spéciaux de revues, des thèses paraissent (dont celle d’Anne Mœglin-Delcroix sur le livre-objet, 1995); des artistes perpétuent la tradition, tout en la renouvelant de façon spectaculaire (Henning Christiansen pour la musique, Dick Higgins pour le collage avec une exposition en 1995 au Sonja Henie Kunstsenter d’Oslo). Des échos de Fluxus nous viennent d’ailleurs: citons la tournée européenne de vingt et un performers japonais regroupés, en 1992, par Shin’ichi Sakai et Christophe Charles sous le label T 拏ky 拏- 牢saka Action Art Ensemble ); ils attestent que Fluxus n’a nullement été oublié en Extrême-Orient. L’important n’est aucunement que l’on se réclame à présent de Fluxus: le feu continue de couver. En 1991, le festival de Madrid, en présence de (et en hommage à) John Cage, a donné lieu à la synthèse, proposée par le Grupó ZAJ (Juan Hidalgo, Walter Marchetti, Esther Ferrer), d’un processus intermédiainterstitiel» au sens de Higgins) et d’une confrontation multimédia (superposant les performances): à la fois Fluxus renaissait, et l’éthique «du plus n 拏 que le n 拏», selon Cage, s’épanouissait.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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